"Aux arts, mes citoyens!"

par Sylvestre Sbille dans L'Echo le 21 avril 2021

publié le 22/04/2021

Après la désobéissance civile, la désobéissance culturelle s’organise. Le comité de concertation de ce 23 avril devra-t-il suivre un mouvement inexorable?

Action de "Still Standing for Culture" au Théâtre de la Monnaie, le 6 avril dernier. ©EPA

C'est fait: ce mercredi 21 avril, les ministres de la Santé approuvaient le texte-cadre des fameux "événements-tests" destinés à accompagner les reprises, culturelle et événementielle. Il était grand temps: depuis quelques jours, des incontournables comme le KVS ou les Halles de Schaerbeek se sont joints aux mouvements citoyens tels que "Still Standing for Culture" et ont annoncé la reprise au forcing. Si on ajoute à cela les initiatives de Filigranes, du théâtre Le Public, du cinéma Nova et le soutien officiel de certains bourgmestres, les "rebelles" semblent non seulement très décidés, mais aussi très suivis.

Histoire d'une désobéissance annoncée

Tout commence avec Quentin Dujardin, dans l'église de Crupet, ce 14 février. Depuis, les initiatives ont fleuri un peu partout, encouragées bien entendu par le jugement du tribunal de première instance de Bruxelles qui, le 31 mars, déclarait illégales les mesures Covid mises en place par l'État belge.

En ce début de printemps, le secteur culturel, en apnée, est sur les dents. Une attente assimilée pour beaucoup de décideurs à de la torture: on souffle le chaud, puis le froid, au point que les directions culturelles finissent par devoir prendre elles-mêmes les décisions d'annulation ou de virtualisation.

En désespoir de cause, on agit. Les autorités cloisonnent le secteur entre "ceux qui peuvent" (musée, librairies...) et "ceux qui ne peuvent pas" (théâtre, cinéma, concerts...). Mais qu'importe puisque le secteur, lui, décloisonne, quitte à jouer sur les mots (et donc les autorisations légales). Parmi les "astuces", un théâtre qui projette de se transformer partiellement en libraire (Le Public, avec l'aide de Filigranes). Ou une librairie (Filigranes, encore), qui dès le 12 mars se transformait en lieu de concert, en accueillant la musique classique de plusieurs "complices" (Michaël Guttman, beau-frère du maître des lieux Marc Filipson)... histoire d'accompagner les clients dans leurs achats – mais surtout de marquer les esprits symboliquement. Du côté du cinéma Nova, on se rebaptisait avec humour "Nova Museum", afin, là aussi, de contourner les règlements en vigueur.

Avec ou sans autorisation

À présent, les choses se corsent. La semaine dernière, Michael De Cock, directeur du prestigieux KVS, annonce programmer le 26 avril, en jauge réduite (50 personnes), le spectacle "Jonathan", qu'il en ait ou non l'autorisation. Une volonté qui cherche clairement à briser l'attentisme et à entamer le débat, mais qui secoue néanmoins le milieu, l'opinion publique et même le politique. Surtout depuis l'appui de la Ville de Bruxelles. En effet, son bourgmestre Philippe Close (PS) a demandé officiellement que le spectacle soit intégré aux fameux "événements-tests" qui viennent d'être confirmés ("Namur en mai", du 13 au 15 mai, serait également pressenti).

L'épidémie – de la désobéissance culturelle! – se propage à présent selon une courbe exponentielle. Les Halles de Schaerbeek annonçaient ce lundi proposer un cabaret-débat du 1er au 8 mai, avec 200 personnes (soit 10% de la jauge de l'immense salle).

Au théâtre Le Public (Saint-Josse), la transformation de l'ancien parking est terminée: cet espace ouvert permettra donc, via des casques individuels pour ne pas déranger les voisins, la programmation de 160 représentations entre début mai et fin septembre, avec 60 artistes – dont beaucoup ont subi le chômage partiel.

La Fédération des festivals de musique Wallonie-Bruxelles (FFMWB) demande de son côté qu'une décision claire soit prise, à propos de l'annulation éventuelle des événements de l'été, ainsi que des garanties de l'inclusion du secteur culturel dans le fonds de relance en préparation.

Déjà un peu tard?

La ministre de la Culture Bénédicte Linard se déclarait ce mercredi "inquiète" quant au déconfinement du secteur culturel – une manière, peut-être, de préparer le milieu.

Le Comité de concertation de ce vendredi est la première réellement consacrée à la culture (après des mois de requêtes répétées), et elle arrive bien tard. Pour donner l'impression de garder la barre dans la tempête, le Codeco va-t-il coller dans l'urgence une étiquette "événements-tests" à certains des spectacles annoncés? Vu le contexte, on voit mal le politique déclarer officiellement la guerre à un secteur exsangue – déjà échauffé par des mois d'humiliation récurrente où on lui répétait son caractère "non essentiel"…


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